On les croyait invulnérables, ou presque. Une anomalie dans un monde qui se réchauffe. Pourtant, les glaciers d’Asie centrale, longtemps restés stables, montrent d’inquiétants signes de faiblesse. De nouvelles données suggèrent qu’un seuil critique a été franchi en 2018, marquant le début d’une fonte accélérée qui pourrait redéfinir l’équilibre de toute une région.
Le 'Troisième Pôle', une anomalie climatique
Pour bien comprendre l’enjeu, il faut se souvenir que tous les glaciers ne sont pas logés à la même enseigne. Tandis que ceux des Alpes ou des Andes reculent à vue d’œil depuis des décennies, ceux des hautes montagnes d’Asie centrale faisaient figure d’exception. Une résilience si particulière que les scientifiques l’ont baptisée ‘l’anomalie du Pamir-Karakoram’.
Cette région, surnommée le ‘Troisième Pôle’ pour ses réserves de glace colossales – les plus importantes hors des calottes polaires –, semblait presque immunisée. Certains de ses glaciers, notamment dans la chaîne du Pamir au Tadjikistan, étaient même observés en légère croissance. Une image d’Épinal qui pourrait bien appartenir au passé.
Une découverte permise par un terrain enfin accessible
Si cette prise de conscience est si récente, c’est que la région est longtemps restée une sorte de trou noir scientifique. L’instabilité politique a rendu ces géants de glace quasi inaccessibles pendant des années. Il a fallu attendre 2021 pour qu’une équipe de recherche internationale puisse enfin installer un site d’observation pérenne sur le glacier Kyzylsu, à 3 400 mètres d’altitude.
Ce camp de base, si l’on peut dire, a changé la donne. ‘Kyzylsu est en passe de devenir un site de surveillance de référence’, confirme Achille Jouberton, auteur principal de l’étude publiée dans Communications Earth & Environment. C’est de là que tout est parti.
Le coupable : moins de neige pour protéger la glace
Grâce à ce nouveau point d’observation, les chercheurs ont pu collecter des données précieuses sur les chutes de neige et les écoulements d’eau. En les combinant avec des modèles climatiques reconstituant le comportement du glacier depuis 1999, une rupture est apparue clairement. ‘Quelle que soit la méthode utilisée, nous avons constaté un seuil critique en 2018 au plus tard’, explique Jouberton.
La cause directe n’est pas tant une hausse brutale des températures, mais plutôt son corollaire : la diminution du manteau neigeux. Cette couche de neige agissait comme un bouclier, un isolant qui protégeait la glace des rayons du soleil. Avec moins de neige, la glace est à nu, et la fonte s’emballe. Une observation confirmée par les témoignages des communautés locales, qui voient le changement s’opérer sous leurs yeux.
Un point de non-retour ? Les scientifiques restent prudents
Pour autant, les scientifiques se gardent de toute conclusion hâtive. Le lien direct entre la baisse des chutes de neige et le réchauffement climatique global, bien que très probable, n’est pas formellement établi par cette étude. On ignore également si ce phénomène est irréversible ou s’il s’est déjà produit par le passé.
‘Nous ne pouvons pas encore affirmer qu’il s’agissait réellement du point de non-retour pour les glaciers du Pamir’, tempère Achille Jouberton. Les données, bien que précieuses, ne couvrent qu’un secteur limité et une période de temps encore courte. C’est une première alerte, pas encore une sentence définitive.
Une alerte pour des millions de personnes
Cette étude est bien plus qu’un simple relevé glaciologique. C’est un avertissement pour une région où des millions de personnes dépendent de l’eau de ces glaciers pour leur survie, leur agriculture et leur énergie. La fonte accélérée du ‘château d’eau’ de l’Asie centrale n’est plus une hypothèse lointaine.
Le travail de collecte de données ne fait que commencer. Il s’agira désormais de surveiller si cette tendance se confirme et s’étend aux autres géants de la région. Le Troisième Pôle a commencé à fondre. La question est de savoir à quelle vitesse.
Selon la source : trustmyscience.com