Une tête momifiée exposée à Lausanne fait l’objet d’une étude révélant son histoire et son origine
Auteur: Adam David
Pendant plus d’un siècle, elle a dormi dans les réserves d’un musée suisse, simple curiosité ramenée des Andes. Une étiquette jaunie la présentait comme un vestige inca, témoignage d’un empire disparu. Mais la science, en se penchant sur ce crâne momifié, vient de lui rendre une tout autre identité, et une histoire bien plus complexe.
Un prestigieux malentendu
Tout commence à la fin du XIXe siècle, quand l’entrepreneur Louis Kuffré offre cette tête au Musée cantonal d’archéologie et d’histoire de Lausanne (MCAH). Pour lui, comme pour beaucoup d’Européens de l’époque, les vestiges monumentaux des Andes étaient forcément l’œuvre des Incas. L’étiquette était donc une évidence : « Crâne d’Inca – Bolivie – trouvé dans une ruine indienne ».
Ce raccourci, flatteur pour le collectionneur, a longtemps fait foi. Pourtant, une étude récente publiée dans l’International Journal of Osteoarchaeology vient de démanteler cette certitude. L’homme de Lausanne n’était pas un Inca. Il était Aymara.
Les Aymaras, le peuple oublié de l'Altiplano
Qui sont les Aymaras ? Un peuple autochtone des hauts plateaux andins, dont le cœur bat depuis des millénaires autour du lac Titicaca, entre Bolivie, Pérou et Chili. Héritiers de la grande civilisation de Tiwanaku, bien antérieure aux Incas, ils furent intégrés à l’empire de ces derniers au XVe siècle, mais sans jamais totalement perdre leur identité.
Leur langue a résisté au quechua dominant et est encore parlée par des millions de personnes. Or, le lieu de découverte du crâne, près d’Aygachi en Bolivie, est précisément un territoire aymara historique. Une première piste, plus géographique que scientifique.
Les indices gravés dans l'os
L’équipe de chercheurs a combiné anthropologie, radiologie et enquête historique pour faire parler ce fragment d’humanité. Le premier indice, et le plus probant, était visible à l’œil nu : une déformation crânienne volontaire. Obtenue en bandant très serré la tête des nourrissons, cette modification dite « annulaire » était une pratique culturelle forte chez les Aymaras et leurs ancêtres de Tiwanaku. Une signature, en quelque sorte. Et une pratique totalement absente chez les Incas.
Les scientifiques pensent que la tête a été prélevée dans une chullpa, ces tours funéraires en pierre où les élites aymaras étaient inhumées. Le froid sec de l’altitude y a favorisé une momification naturelle, mais ces tombeaux ont malheureusement été la cible de nombreux pillages par les voyageurs occidentaux.
Le portrait d'un homme qui a survécu
Au-delà de son peuple, c’est l’histoire d’un individu qui a refait surface. Les analyses ont permis de dresser son portrait biologique : un homme adulte, qui souffrait d’un sévère abcès dentaire. Plus étonnant encore, il portait sur le côté droit du crâne la trace d’une tentative de trépanation.
Cette chirurgie crânienne primitive, qui consistait à percer l’os, n’a pas abouti. Mais l’os a commencé à cicatriser, preuve que l’homme a survécu à cette opération pour le moins risquée. Un aperçu fascinant de la médecine andine précolombienne.
de la curiosité coloniale à la restitution d'une identité
Cette réattribution est bien plus qu’une correction sur une étiquette. Elle démonte le prisme colonial à travers lequel ces objets ont été collectés. Dans ses notes, Louis Kuffré écrivait : « Selon la tradition des Indiens actuels, ce crâne serait celui d’un chef de tribu ». Une phrase qui illustre parfaitement le mélange de rumeurs locales et de fantasmes européens de l’époque.
Aujourd’hui, cet homme aymara a retrouvé son histoire. Il n’est plus un spécimen inca anonyme. Il est le témoin d’une culture, de ses rituels et de ses souffrances. Conservé dans une installation climatisée, à l’abri des regards, il attend. Le musée n’a reçu aucune demande de rapatriement, mais se dit ouvert à la discussion. Un dialogue qui, partout dans le monde, commence à peine à s’ouvrir sur l’héritage des collections coloniales.
Selon la source : geo.fr