Bien plus que de simples herbes marines

Quand on pense aux trésors de nos océans, on imagine souvent les coraux colorés ou les baleines majestueuses. Mais si je vous disais qu’une des plus grandes richesses se trouve juste là, sous nos pieds, dans ces herbes qui nous chatouillent les jambes quand on se baigne ? On les appelle les herbiers marins, de véritables forêts sous-marines qui abritent une vie foisonnante et protègent nos côtes. Et aujourd’hui, grâce à de nouvelles recherches, on découvre qu’elles sont aussi de gigantesques banques de carbone.
Pour la toute première fois, des scientifiques ont réussi à calculer précisément la quantité de carbone que ces plantes renferment dans leurs tissus vivants – leurs feuilles, leurs racines… Et le chiffre est assez bluffant : on parle de près de 44 millions de tonnes de carbone stockées à l’échelle mondiale. C’est énorme.
Comment ça marche, ce stockage de carbone ?

Alors, comment ces simples plantes arrivent-elles à stocker autant de carbone ? C’est une question que s’est posée une équipe de chercheurs menée par Enric Gomis, un jeune scientifique espagnol. En fait, il y a deux types de stockage. Le premier, c’est le carbone qui est piégé dans le sol marin sous les herbiers pendant des siècles. On appelle ça le carbone bleu.
Mais ce qui est nouveau ici, c’est qu’ils se sont intéressés au second type : le carbone présent directement dans la plante vivante. Pensez à un arbre, avec le carbone dans son tronc et ses branches. C’est la même idée. Ils ont calculé qu’en moyenne, un hectare de prairie marine contient environ 0,69 tonne de carbone rien que dans ses tissus. Et chaque année, ces plantes capturent environ 3 tonnes de nouveau carbone par hectare. C’est un travail constant et silencieux pour nettoyer notre atmosphère.
Toutes les prairies ne se valent pas

Ce qui est vraiment fascinant, c’est que toutes les prairies marines ne fonctionnent pas de la même manière. Il y a les « persistantes », des espèces qui poussent lentement mais vivent très longtemps, des dizaines d’années. Elles accumulent patiemment le carbone, surtout dans leurs racines souterraines. C’est un stockage à très long terme.
Et puis, il y a les « opportunistes ». Celles-ci poussent très vite, colonisent de nouveaux espaces rapidement et capturent du carbone à un rythme effréné. Même si elles vivent moins longtemps, leur vitesse de capture est un atout majeur. On voit aussi des différences selon les régions du monde. En Méditerranée, par exemple, les prairies ont tendance à stocker plus de carbone sur la durée, tandis que dans le Pacifique Nord, elles sont championnes de la capture rapide. Chacune sa méthode, mais au final, le service rendu au climat est le même.
Pourquoi c’est si important de bien compter ?

Vous vous demandez peut-être pourquoi on a besoin de chiffres aussi précis. Eh bien, c’est crucial pour les programmes de lutte contre le changement climatique. Aujourd’hui, on peut obtenir des « crédits carbone » en protégeant ou en restaurant ces habitats. C’est une sorte de récompense pour les bienfaits rendus à la planète. Mais pour que ce système soit juste, il faut que tout soit mesuré précisément : le carbone déjà stocké, les gains annuels, et la durée de ce stockage.
Ces nouvelles données offrent enfin une base de référence commune pour tous les pays. C’est un outil formidable pour planifier des actions de protection efficaces. Bien sûr, ce n’est pas toujours si simple. Il faut aussi surveiller d’autres gaz, comme le méthane, qui peuvent parfois être émis par ces zones. Mais c’est un immense pas en avant.
Le danger de leur disparition

Malgré leur rôle essentiel, ces prairies sont en danger. Partout dans le monde, elles reculent à cause de la pollution, de la construction sur les côtes et du réchauffement de l’eau. Et la perte est double. Non seulement on perd leur capacité à capturer du carbone, mais en plus, le carbone qu’elles avaient stocké pendant des décennies risque d’être relâché dans l’atmosphère.
Quand les plantes meurent, leurs racines ne retiennent plus le sol marin, qui s’érode et libère son précieux carbone. Les chercheurs estiment que la disparition des herbiers marins entraîne chaque année le rejet de 170 000 à 282 000 tonnes d’équivalent CO2. Franchement, c’est comme si on ouvrait une banque pour la piller. La leçon est simple : protéger les prairies qui existent déjà est bien plus efficace et moins coûteux que de tenter de réparer les dégâts plus tard.
Un geste pour l’avenir de tous

Le message de cette étude est finalement très concret et plein d’espoir. En protégeant ces prairies sous-marines, on ne fait pas que préserver la biodiversité ou la clarté de l’eau pour nos baignades. On pose un acte fort pour le climat. Comme le dit Enric Gomis, « les conserver permet non seulement de préserver la biodiversité, mais aussi d’éviter des émissions et de contribuer à la capture naturelle du carbone ».
Grâce à ce travail, nous avons pour la première fois une vision globale de ce trésor caché. On peut désormais agir en connaissance de cause, en ciblant les zones les plus précieuses. Bref, prendre soin de ces herbes discrètes, c’est prendre soin de notre avenir à tous. C’est une responsabilité que nous ne pouvons plus ignorer.