La ruée vers l’or des profondeurs : pourquoi ces ‘cailloux’ marins sèment la discorde
Auteur: Mathieu Gagnon
On a longtemps cru que l’exploitation minière en haute mer ne posait problème que pour les créatures du plancher océanique. Une sorte de ‘loin des yeux, loin du cœur’. Mais voilà, la réalité est bien plus compliquée. Cette pratique, déjà très controversée, s’avère être aussi un souci pour ce qui se passe bien plus haut, à des centaines de mètres au-dessus du fond.
Une nouvelle étude vient de jeter un pavé dans la mare. C’est la première fois qu’on démontre clairement que les déchets rejetés par les navires miniers dans ce qu’on appelle la ‘zone crépusculaire’ de l’océan pourraient perturber toute la chaîne alimentaire. Et ça, c’est une toute autre histoire.
Un 'garde-manger' marin dilué et sans saveur
Pour faire simple, lors de l’extraction, on remonte des sédiments, de l’eau de mer et des fragments de ces fameux nodules, des sortes de roches riches en métaux. Une fois les nodules récupérés, tout le reste, une sorte de boue, est rejeté à la mer. L’idée de certains était de le faire à mi-profondeur pour ne pas étouffer la vie sur le fond. Bonne idée ? Pas vraiment, non.
Des chercheurs de l’Université d’Hawaï ont découvert quelque chose d’assez inquiétant. Ils ont analysé cette boue et l’ont comparée à ce que les animaux mangent habituellement à cette profondeur. Le résultat est sans appel : les rejets miniers sont pauvres en nutriments essentiels, comme les acides aminés. En gros, on remplace un buffet de qualité par de la nourriture de remplissage, sans aucune valeur nutritive. Pour des petites bêtes qui vivent déjà sur le fil, ça change tout.
La zone crépusculaire, un monde vital mais fragile
Cette ‘zone crépusculaire’, c’est la couche de l’océan située entre 200 et 1 500 mètres de profondeur. C’est un monde fascinant, plein de vie adaptée à l’obscurité : du krill, des poissons-lanternes, des créatures gélatineuses… Un écosystème entier. Chaque nuit, beaucoup de ces animaux montent vers la surface pour se nourrir avant de redescendre à l’aube. C’est la plus grande migration quotidienne sur Terre !
Ce va-et-vient est crucial, car il transporte le carbone des couches supérieures vers les profondeurs, aidant ainsi à réguler notre climat. Si on perturbe leur alimentation avec des sédiments vides, on met en péril tout cet équilibre fragile. Plus de la moitié du zooplancton et près de 60% du micronecton (petits poissons, crevettes, calmars) seraient directement exposés à ces panaches de déchets.
Des règles du jeu encore à écrire
La zone qui attire toutes les convoitises s’appelle la Zone Clarion-Clipperton (ZCC), dans le Pacifique. C’est une immense étendue qui regorge de ces fameux nodules polymétalliques, riches en cobalt, nickel et cuivre. Des métaux précieux pour les batteries de nos voitures électriques et autres technologies dites ‘vertes’. Des licences d’exploration ont déjà été accordées pour environ 1,5 million de kilomètres carrés. C’est énorme.
Pourtant, l’exploitation commerciale n’a pas encore commencé. Et surtout, il n’existe aucune règle claire sur où et comment rejeter ces déchets. On est dans une sorte de Far West des grands fonds. Les scientifiques nous alertent : c’est maintenant qu’il faut agir et définir des règles strictes, avant que les dégâts ne deviennent irréversibles.
Des conséquences en cascade jusqu'à notre assiette
On pourrait se dire que tout ça est bien loin de nous. Erreur. Le micronecton, ces petites créatures touchées en premier, sont la nourriture principale de nombreux thons. Et les pêcheries de thon sont une activité économique majeure dans le Pacifique. Si la nourriture de base se raréfie ou perd en qualité, les thons pourraient grandir moins vite, se déplacer, voire diminuer en nombre.
Les conséquences toucheraient alors directement les pays qui vivent de la pêche et les communautés qui dépendent du poisson pour se nourrir. Ce qui se passe dans les abysses ne reste pas dans les abysses. Tout est lié, des plus petites créatures invisibles aux oiseaux de mer, aux mammifères marins et, finalement, à nous.
Avant de se lancer, réfléchissons
La promesse de minéraux pour une économie plus ‘verte’ est séduisante, c’est certain. Mais elle ne doit pas nous faire oublier que l’océan a besoin de ses chaînes alimentaires intactes pour fonctionner correctement. Il faut peser le pour et le contre.
Tant que les entreprises et les régulateurs ne pourront pas prouver que leurs rejets ne vont pas affamer la zone crépusculaire, la prudence la plus élémentaire s’impose. Peut-être faut-il faire une pause. Réfléchir à comment minimiser les déchets, choisir les zones de rejet avec une extrême précaution… ou peut-être décider de ne pas y toucher du tout. Les profondeurs de l’océan sont peut-être hors de notre vue, mais elles ne doivent jamais être exclues de l’équation.
Selon la source : earth.com