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Ces algues brunes qui envahissent l’Atlantique : le mystère du Sargasse enfin résolu par la science
Crédit: lanature.ca (image IA)

L’invasion sans précédent des Sargasses

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Si vous êtes déjà allé sur les côtes de la péninsule du Yucatán au Mexique, ou sur n’importe quelle plage des Caraïbes pendant l’été, vous avez probablement vu ces tapis bruns, épais et odorants : les Sargasses. Ce n’est pas qu’une simple nuisance; c’est un problème environnemental et touristique de taille. En début d’année, on a même battu un triste record : environ 38 millions de tonnes de ces algues flottaient vers nos côtes.

Cette accumulation massive décourage le tourisme, bien sûr, mais elle menace également les fragiles écosystèmes côtiers. Pourtant, en pleine mer, le Sargasse est une ressource vitale. Alors, qu’est-ce qui nourrit cette croissance exponentielle depuis 2011? C’était une véritable énigme. Mais figurez-vous que des chercheurs de l’Institut Max Planck pour la Chimie, notamment, ont finalement mis le doigt sur le mécanisme derrière ces proliférations. Et c’est un peu plus compliqué que ce qu’on imaginait au départ.

De la mer des Sargasses à la Grande Ceinture

Historiquement, ces algues brunes proviennent d’une zone bien précise, à l’est de la Floride, qu’on appelle la mer des Sargasses. Mais depuis 2011, la donne a changé dramatiquement. Les scientifiques ont commencé à documenter l’apparition de ce qu’ils appellent la Grande Ceinture Atlantique de Sargasses (GASB), une étendue gargantuesque qui dérive de l’équateur jusqu’aux Caraïbes, poussée par les vents d’est dominants.

Pendant longtemps, tout le monde se demandait d’où venaient les nutriments, notamment le phosphore (P) et l’azote (N), qui alimentaient une croissance aussi folle. Certains penchaient pour un ruissellement des nutriments venus de l’agriculture en Amérique du Sud, ou même de la déforestation en forêt amazonienne. C’était l’hypothèse la plus simple, n’est-ce pas ? Mais les chercheurs nous disent aujourd’hui que ces facteurs, à eux seuls, ne suffisaient pas à expliquer cette augmentation brutale, qui n’arrête pas de s’accélérer.

Le rôle caché des remontées d’eau profondes

credit : lanature.ca (image IA)
La véritable clé de l’énigme se trouve bien plus profond, littéralement. Dans leur dernière publication parue dans *Nature Geoscience*, les scientifiques de Mayence expliquent que le vent joue un rôle crucial près de l’équateur. Il provoque un phénomène qu’on appelle l’« upwelling », c’est-à-dire la remontée d’eaux profondes.

Ces eaux profondes, vous l’aurez deviné, sont excessivement riches en phosphore. Une fois en surface, ce phosphore est transporté vers le nord, direction les Caraïbes. C’est l’abondance de ce phosphore qui change tout et qui favorise la prolifération.

La symbiose gagnante : Azote et cyanobactéries

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Mais pour pousser autant, il faut aussi de l’azote (N), un autre nutriment essentiel. Et c’est là qu’intervient le coup de théâtre biologique. L’augmentation du phosphore à la surface favorise la croissance de minuscules êtres vivants : les cyanobactéries. Ces micro-organismes vivent sur la surface même des Sargasses.

Qu’est-ce qu’elles font de spécial ? Eh bien, elles sont capables de capter l’azote gazeux (N₂) présent dans l’atmosphère et de le convertir en une forme que l’algue peut utiliser. C’est ce qu’on appelle la «fixation de l’azote». Elles forment une relation symbiotique avec les Sargasses. L’algue leur donne un foyer, et elles lui fournissent un apport continu d’azote, indispensable à sa croissance. C’est cette association, dopée par le phosphore profond, qui donne au Sargasse un avantage concurrentiel énorme, expliquant pourquoi sa biomasse a explosé ces dernières années. C’est fascinant, non ?

Le corail, témoin silencieux des changements océaniques

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Pour prouver cette connexion, les chercheurs ont eu recours à une méthode d’archivage assez ingénieuse : l’analyse des carottes de corail. Oui, le corail est un peu comme l’arbre de l’océan. En grandissant, il incorpore des signatures chimiques de l’eau dans son squelette calcaire, couche après couche, à la manière des cernes d’un arbre. Cela nous permet de remonter l’histoire de l’océan sur des siècles.

L’équipe du Max Planck a analysé la composition des isotopes d’azote (le rapport entre 15N et 14N) dans ces coraux. Pourquoi ? Car lorsque les bactéries fixent l’azote, cela diminue le rapport de ces isotopes. Par conséquent, si ce rapport est faible dans une couche de corail, cela signifie qu’il y a eu une forte fixation d’azote à cette époque. Le doctorant Jonathan Jung, premier auteur de l’étude, raconte : «Nous avons immédiatement remarqué deux augmentations importantes en 2015 et 2018, deux années records pour les Sargasses. Et en comparant les données, tout s’alignait parfaitement !».

Ce couplage entre croissance des algues et fixation d’azote est resté constant depuis 2011. Ce qui coïncide étrangement avec le moment où les vents ont déplacé pour la première fois les algues de la mer des Sargasses vers l’Atlantique tropical. Toutes les autres théories, comme la poussière riche en fer du Sahara ou les nutriments de l’Amazone, n’ont pas montré de corrélation aussi claire.

Un lien avec le climat : anticiper les futures invasions

Donc, le mécanisme est clair : le phosphore (grâce aux remontées d’eau) plus l’azote (grâce aux cyanobactéries) créent le cocktail parfait. Mais qu’est-ce qui cause ces remontées d’eau riches en phosphore ?

C’est une histoire de températures. Plus précisément, des variations de température dans l’Atlantique. Lorsque le nord tropical est plus froid et le sud plus chaud, ces différences provoquent des anomalies de pression atmosphérique. Cela crée des vents qui poussent l’eau de surface et permettent au phosphore de l’eau profonde de remonter. C’est ce déséquilibre qui est le moteur initial de l’invasion.

Les chercheurs expliquent que, désormais, en surveillant de près les vents, les températures et ces fameux changements d’« upwelling » près de l’équateur, on peut grandement améliorer les prévisions des futures floraisons de Sargasses. C’est une avancée majeure, vous ne trouvez pas ?

Ce que l’avenir nous réserve

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Ce travail colossal mené par l’Institut Max Planck pour la Chimie lève enfin le voile sur l’une des énigmes environnementales les plus pressantes des Caraïbes. Nous savons maintenant que l’abondance des Sargasses est pilotée par un mécanisme naturel complexe impliquant le phosphore des profondeurs et la fixation symbiotique de l’azote.

Toutefois, comme le souligne Alfredo Martínez-García, l’auteur principal de l’étude, l’avenir de cette algue dans l’Atlantique dépendra inéluctablement de la façon dont le réchauffement climatique global affectera ces processus qui régulent l’apport de phosphore à l’équateur. En clair, si le climat continue de dérégler les températures et les vents, on risque fort de revoir ces tapis bruns. Ces nouvelles connaissances sont cruciales pour guider les efforts visant à atténuer l’impact de ces blooms sur nos communautés côtières et, bien sûr, sur nos précieux récifs coralliens.

Selon la source : scitechdaily.com

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