Ces ‘points de bascule’ pourraient bien accélérer la transition climatique, selon des experts
Auteur: Adam David
Le constat est sans appel : l’économie mondiale se décarbone au moins cinq fois trop lentement pour espérer respecter les objectifs de l’Accord de Paris. Face à cette course contre la montre, des chercheurs proposent de changer de perspective. Et si, au lieu de se focaliser uniquement sur les menaces, on cherchait à déclencher des cercles vertueux ? C’est l’idée derrière les « points de bascule positifs », une notion qui pourrait bien redessiner notre stratégie climatique.
L'effet domino, mais en version optimiste
On connaît bien la notion de point de bascule pour ses connotations angoissantes : la fonte irréversible d’une calotte glaciaire, par exemple. Mais le principe peut aussi fonctionner dans l’autre sens. Un point de bascule positif désigne ce seuil critique où un changement, même mineur, peut enclencher une transformation massive et rapide au sein d’un système. C’est l’effet domino, mais inversé.
Loin des points de rupture catastrophiques, il s’agit ici de trouver les leviers qui, une fois actionnés, entraînent une cascade de conséquences bénéfiques, comme une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. L’enjeu est de taille : identifier ces leviers avant qu’il ne soit trop tard.
Une méthode pour repérer les opportunités
Mais comment repérer ces fameux points de bascule ? C’est tout l’objet d’une étude publiée dans la revue Sustainability Science par une équipe de l’université d’Exeter. Les chercheurs, menés par le professeur Tim Lenton, ont mis au point un cadre d’analyse pour évaluer le potentiel de différents secteurs. La méthode s’appuie sur des preuves solides : l’analyse de basculements passés, l’étude des technologies existantes et des comportements sociaux.
Ce travail ne se contente pas de dresser une liste. Il vise à évaluer à quel point nous sommes proches de ces seuils et, surtout, quels sont les déclencheurs à activer, qu’il s’agisse de politiques publiques, d’innovations ou d’incitations financières.
Voitures électriques et pompes à chaleur en première ligne
Certains secteurs sont déjà sur la bonne voie. Prenez la voiture électrique. Le mécanisme est simple et puissant : plus il y a d’acheteurs, plus les prix baissent, plus les infrastructures comme les bornes de recharge se développent, ce qui encourage à son tour de nouveaux acheteurs. C’est une boucle de rétroaction positive qui accélère la transition loin des moteurs thermiques.
Les experts estiment que le même phénomène est à portée de main pour d’autres technologies. « Nous pensons que le Royaume-Uni est proche d’un point de basculement en matière d’adoption des pompes à chaleur », souligne le Dr Steve Smith, l’un des auteurs de l’étude. Un petit coup de pouce réglementaire ou une innovation supplémentaire pourrait suffire à faire basculer le marché.
Le levier inattendu : ce qu'il y a dans notre assiette
Mais la technologie n’est pas le seul moteur. Les chercheurs pointent également du doigt un levier puissant, et peut-être plus intime : notre alimentation. Une baisse significative de la consommation de viande pourrait, elle aussi, constituer un point de bascule majeur. Ici, les déclencheurs sont multiples.
On pense à des politiques de soutien, à des alternatives végétales toujours plus qualitatives et abordables, mais aussi à l’influence sociale. Voir ses proches changer leurs habitudes peut avoir un impact considérable. « Nous pourrions observer un impact majeur […], un point de basculement bénéfique pour le climat et la santé », affirme le Dr Smith.
Toutes les batailles ne se gagneront pas ainsi
Pour autant, cette approche n’est pas une solution miracle. Les experts sont clairs : il ne faut pas s’attendre à de tels points de bascule dans tous les domaines. Dans des secteurs à forte inertie comme la production de ciment ou l’énergie nucléaire, les conditions d’un basculement rapide ne semblent pas réunies. L’effort y sera plus long, plus linéaire.
Cette lucidité est essentielle. L’idée n’est pas de tout miser sur ces leviers, mais de les intégrer comme des outils stratégiques pour concentrer les efforts là où ils peuvent avoir un impact démultiplié.
de l'urgence à l'opportunité
Plutôt que de subir le changement climatique, l’approche par les points de bascule positifs propose d’en devenir les architectes. Elle offre une grammaire nouvelle pour l’action, plus ciblée et potentiellement plus efficace. L’enjeu, comme le résume le professeur Lenton, est d’identifier ces opportunités sans « se leurrer ou simplifier à outrance leur nature ».
Un travail d’équilibriste, en somme, pour transformer une partie de l’immense défi climatique en une cascade d’opportunités à saisir.
Selon la source : geo.fr