Japon : l’étonnante utilisation des ombrelles qui n’a rien à voir avec le temps qu’il fait
Auteur: Adam David
On le croise partout dans les rues de Tokyo ou de Kyoto, fidèle compagnon des jours de pluie comme des étés écrasants. Pourtant, au Japon, l’ombrelle, ou wagasa dans sa version traditionnelle en papier, est bien plus qu’un simple accessoire. Derrière sa silhouette familière se cache une fonction insoupçonnée : celle de servir de pont avec le monde des esprits.
Un symbole de pouvoir, bien avant la pluie
Il faut remonter loin, entre le IXe et le XIe siècle, pour comprendre ses origines. À cette époque, l’ombrelle n’avait rien d’un objet utilitaire. C’était un marqueur de statut, un symbole de pouvoir spirituel et politique réservé à une élite. Portée par des serviteurs, elle ne protégeait pas de la météo, mais signalait la présence d’une personne d’importance, créant un espace sacré autour d’elle.
Un abri pour les âmes errantes
Mais comment un objet si banal peut-il attirer les esprits ? La réponse se trouve dans le concept de yorishiro, comme l’explique Tatsuo Danjyo, professeur à l’université de Beppu. Un yorishiro est, dans la tradition shintô, un objet capable d’invoquer et d’héberger temporairement une divinité ou un esprit. Avec sa forme circulaire qui rappelle l’âme humaine et son manche, perçu comme un pilier entre la terre et le ciel, l’ombrelle est devenue le réceptacle idéal. Un lieu, en somme, où les esprits peuvent « descendre ».
Quand l'objet prend vie : le conte du kasa yokai
Cette croyance animiste, très ancrée dans la culture japonaise, a donné naissance à l’une de ses créatures surnaturelles les plus connues : le kasa yokai, ou « l’esprit-parapluie ». On le représente souvent comme une vieille ombrelle sautillant sur un unique pied, dotée d’un œil et d’une longue langue. Cette figure du folklore incarne parfaitement l’idée que les objets du quotidien, surtout ceux qui ont beaucoup servi avant d’être abandonnés, peuvent développer une âme qui leur est propre.
Des festivals pour entretenir la flamme
Bien sûr, avec sa démocratisation à partir du XIIe siècle, l’ombrelle a largement perdu cette aura sacrée dans l’usage quotidien. Elle est redevenue… un parapluie. Mais la tradition n’a pas disparu pour autant ; elle survit aujourd’hui au cœur de certains rituels et festivals. À Kyoto, lors du Yasurai Matsuri, on défile sous de grandes ombrelles fleuries pour repousser les maladies. Sur l’île d’Okinoshima, elles abritent les esprits des ancêtres durant la fête d’Obon, tandis qu’à Fukuoka, passer sous les chars décorés d’ombrelles géantes promet chance et bonne santé.
un art qui se transmet encore
Si la plupart des Japonais ne pensent plus forcément aux esprits en ouvrant leur parapluie, l’héritage du wagasa reste bien vivant. Un peu partout dans le pays, des artisans continuent de fabriquer ces fragiles et poétiques ombrelles en papier huilé, selon des techniques ancestrales. Un savoir-faire qui rappelle que derrière les gestes les plus simples se cache parfois une histoire bien plus profonde.
Selon la source : geo.fr