Ces algues brunes qui envahissent l’Atlantique : le mystère du Sargasse enfin résolu par la science
Auteur: Mathieu Gagnon
L’invasion sans précédent des Sargasses

Cette accumulation massive décourage le tourisme, bien sûr, mais elle menace également les fragiles écosystèmes côtiers. Pourtant, en pleine mer, le Sargasse est une ressource vitale. Alors, qu’est-ce qui nourrit cette croissance exponentielle depuis 2011? C’était une véritable énigme. Mais figurez-vous que des chercheurs de l’Institut Max Planck pour la Chimie, notamment, ont finalement mis le doigt sur le mécanisme derrière ces proliférations. Et c’est un peu plus compliqué que ce qu’on imaginait au départ.
De la mer des Sargasses à la Grande Ceinture
Pendant longtemps, tout le monde se demandait d’où venaient les nutriments, notamment le phosphore (P) et l’azote (N), qui alimentaient une croissance aussi folle. Certains penchaient pour un ruissellement des nutriments venus de l’agriculture en Amérique du Sud, ou même de la déforestation en forêt amazonienne. C’était l’hypothèse la plus simple, n’est-ce pas ? Mais les chercheurs nous disent aujourd’hui que ces facteurs, à eux seuls, ne suffisaient pas à expliquer cette augmentation brutale, qui n’arrête pas de s’accélérer.
Le rôle caché des remontées d’eau profondes

Ces eaux profondes, vous l’aurez deviné, sont excessivement riches en phosphore. Une fois en surface, ce phosphore est transporté vers le nord, direction les Caraïbes. C’est l’abondance de ce phosphore qui change tout et qui favorise la prolifération.
La symbiose gagnante : Azote et cyanobactéries

Qu’est-ce qu’elles font de spécial ? Eh bien, elles sont capables de capter l’azote gazeux (N₂) présent dans l’atmosphère et de le convertir en une forme que l’algue peut utiliser. C’est ce qu’on appelle la «fixation de l’azote». Elles forment une relation symbiotique avec les Sargasses. L’algue leur donne un foyer, et elles lui fournissent un apport continu d’azote, indispensable à sa croissance. C’est cette association, dopée par le phosphore profond, qui donne au Sargasse un avantage concurrentiel énorme, expliquant pourquoi sa biomasse a explosé ces dernières années. C’est fascinant, non ?
Le corail, témoin silencieux des changements océaniques

L’équipe du Max Planck a analysé la composition des isotopes d’azote (le rapport entre 15N et 14N) dans ces coraux. Pourquoi ? Car lorsque les bactéries fixent l’azote, cela diminue le rapport de ces isotopes. Par conséquent, si ce rapport est faible dans une couche de corail, cela signifie qu’il y a eu une forte fixation d’azote à cette époque. Le doctorant Jonathan Jung, premier auteur de l’étude, raconte : «Nous avons immédiatement remarqué deux augmentations importantes en 2015 et 2018, deux années records pour les Sargasses. Et en comparant les données, tout s’alignait parfaitement !».
Ce couplage entre croissance des algues et fixation d’azote est resté constant depuis 2011. Ce qui coïncide étrangement avec le moment où les vents ont déplacé pour la première fois les algues de la mer des Sargasses vers l’Atlantique tropical. Toutes les autres théories, comme la poussière riche en fer du Sahara ou les nutriments de l’Amazone, n’ont pas montré de corrélation aussi claire.
Un lien avec le climat : anticiper les futures invasions
C’est une histoire de températures. Plus précisément, des variations de température dans l’Atlantique. Lorsque le nord tropical est plus froid et le sud plus chaud, ces différences provoquent des anomalies de pression atmosphérique. Cela crée des vents qui poussent l’eau de surface et permettent au phosphore de l’eau profonde de remonter. C’est ce déséquilibre qui est le moteur initial de l’invasion.
Les chercheurs expliquent que, désormais, en surveillant de près les vents, les températures et ces fameux changements d’« upwelling » près de l’équateur, on peut grandement améliorer les prévisions des futures floraisons de Sargasses. C’est une avancée majeure, vous ne trouvez pas ?
Ce que l’avenir nous réserve

Toutefois, comme le souligne Alfredo Martínez-García, l’auteur principal de l’étude, l’avenir de cette algue dans l’Atlantique dépendra inéluctablement de la façon dont le réchauffement climatique global affectera ces processus qui régulent l’apport de phosphore à l’équateur. En clair, si le climat continue de dérégler les températures et les vents, on risque fort de revoir ces tapis bruns. Ces nouvelles connaissances sont cruciales pour guider les efforts visant à atténuer l’impact de ces blooms sur nos communautés côtières et, bien sûr, sur nos précieux récifs coralliens.