Toutankhamon et l’opium : quand un vieux vase de Yale révèle un usage royal et quotidien en Égypte antique
Auteur: Mathieu Gagnon
La star de cette découverte est un simple — enfin, pas si simple — vase en albâtre, faisant partie de l’illustre Collection Babylonienne de Yale. Ce vase est remarquable : il porte des inscriptions dans quatre langues anciennes, dont l’égyptien démotique et l’akkadien, et fut dédié à Xerxès Ier, l’empereur perse qui dominait l’Égypte à l’époque (486 à 465 avant J.-C.). Sa provenance et sa rareté en font déjà un objet précieux, mais ce sont ses résidus internes qui ont sidéré les chercheurs.
Ces traces minuscules, mais définitives, prouvent que l’opium était bien plus qu’une anecdote en Égypte. Il était, semble-t-il, un élément bien ancré dans la vie, de la cour royale aux foyers ordinaires.
La preuve scientifique : des traces d’opium incontestables
Le verdict? Une preuve irréfutable. L’analyse a révélé la présence de traces chimiques spécifiques de l’opium : la noscapine, l’hydrocotarnine, la morphine, la thébaïne et la papavérine. Ce sont là les signatures chimiques qui ne mentent jamais. Elles indiquent clairement que cette jarre, censée être vide, contenait de l’opium. C’est la preuve la plus solide que nous ayons jusqu’à présent de l’utilisation répandue de cette substance en Égypte antique.
Comme l’explique M. Koh, ces résultats confirment que « l’usage de l’opium était plus qu’accidentel ou sporadique »; il était, dans une certaine mesure, une composante de la vie quotidienne.
Un usage social traversant les classes et les époques
Les chercheurs mentionnent la découverte antérieure de résidus d’opiacés dans des récipients en albâtre égyptien et des « juglets » chypriotes trouvés dans une tombe ordinaire, probablement celle d’une famille de marchands à Sedment, au sud du Caire. Cette tombe datait de la période du Nouvel Empire (XVIe au XIe siècle avant J.-C.), bien plus tôt que le vase de Yale.
Nous parlons donc d’un usage qui s’étend sur plus d’un millénaire et qui touche des gens de toutes les classes sociales. Ce n’était pas juste une affaire de rois ; les gens ordinaires y avaient accès. Et peut-être que l’usage allait au-delà du simple remède, touchant au domaine spirituel, comme le suggère la mention de la « déesse coquelicot » en Crète à l’époque de Toutankhamon.
La connexion avec Toutankhamon : un trésor royal sous un nouveau jour
Lorsqu’Howard Carter a fait sa découverte historique en 1922, il a trouvé une quantité astronomique de vases et récipients en albâtre, des pièces d’une finesse exceptionnelle, représentant l’apogée de l’artisanat de l’époque. M. Koh et son équipe croient que, si l’usage de l’opium était si répandu, il est « possible, voire probable » que bon nombre de ces jarres royales contenaient elles aussi de l’opium. Après tout, il s’agissait du même type de roche, provenant des mêmes carrières égyptiennes. C’est logique, non ?
Le rôle oublié d'Alfred Lucas : la première énigme
Lucas n’a pas pu identifier la composition chimique exacte à l’époque – la technologie n’était pas là – mais il a conclu que la plupart des contenus n’étaient ni des onguents, ni des parfums classiques. C’est un détail… un détail énorme, en fait, car à l’époque, on s’attendait à trouver surtout des produits de beauté et des huiles parfumées dans une tombe royale. Le fait qu’il ait douté est significatif, et cela donne du poids aux conclusions d’aujourd’hui, n’est-ce pas ?
Pourquoi les pilleurs prenaient tant de risques ?
Demandez-vous ceci : qu’est-ce qui, à l’exception de l’or ou des bijoux, aurait été assez précieux pour que des pilleurs risquent leur vie? Ce n’était pas juste de l’eau de toilette de luxe ou une simple huile à frotter. M. Koh est catégorique : il est peu probable que les anciens aient accordé une telle valeur aux onguents et parfums standards de l’époque. Si le contenu était de l’opium, cela expliquerait la valeur incroyable et la motivation des voleurs.
Nous avons maintenant les signatures chimiques dans des vases liés à l’élite mésopotamienne et dans des contextes plus modestes en Égypte. C’est probable que ces jarres d’albâtre étaient des marqueurs culturels facilement reconnaissables pour l’opium, un peu comme on associe aujourd’hui les narguilés au tabac à chicha. C’est une révélation fascinante.
Vers une compréhension renouvelée de l'Égypte antique
Analyser le contenu des jarres encore scellées et celles qui contiennent toujours ces mystérieuses substances brunes pourrait non seulement confirmer l’hypothèse de l’opium, mais aussi fournir un éclairage crucial sur les pratiques religieuses, médicales et même récréatives de l’époque. Cette étude nous rappelle que l’histoire est rarement figée. Il suffit parfois d’une vieille jarre, et d’un peu de science moderne, pour réécrire notre compréhension des pharaons.
Selon la source : scitechdaily.com