Services de garde : le modèle privé s’impose, l’AQCPE dénonce un « choix de société » raté
Auteur: Adam David
Le « Grand Chantier » n’a pas réussi à freiner la montée du privé

C’est un constat assez difficile à accepter pour ceux qui défendent le modèle historique québécois des Centres de la petite enfance (CPE). Malgré le lancement du « Grand chantier pour les familles » par la Coalition avenir Québec (CAQ) en 2021, il semblerait bien que les CPE resteront minoritaires face aux garderies privées, qu’elles soient subventionnées ou non. L’objectif de ce chantier, mené à l’époque par Mathieu Lacombe, était pourtant ambitieux : créer 37 000 nouvelles places subventionnées dans la province afin d’assurer l’équité financière pour les parents, avec un tarif journalier à 9,35 $, et de diminuer drastiquement la liste d’attente. C’était la promesse, n’est-ce pas?
Aujourd’hui, l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) tire la sonnette d’alarme. Ils affirment que le gouvernement Legault a clairement raté son coup pour ce qui est de valoriser et de prioriser le modèle à but non lucratif. Au terme de ce chantier, prévu pour l’an prochain (2025), les chiffres parlent d’eux-mêmes : si l’on inclut les 12 000 places actuellement en cours de création, le Québec aura environ 123 000 places en CPE. Cependant, le nombre total de places en garderies privées subventionnées et non subventionnées atteindra 128 000 places. Ce n’est même pas la peine de compter les services de garde en milieu familial, le réseau à but lucratif a pris le dessus. Ça, c’est sans compter que le gouvernement est encore loin des 37 000 places promises pour 2025.
Geneviève Blanchard, la directrice générale de l’AQCPE, ne mâche pas ses mots. Elle déplore que nous nous dirigions vers un réseau majoritairement privé à but lucratif, ce qui est très préoccupant, surtout si l’on regarde les scores de qualité, qui sont « très en deçà du modèle CPE ». Son ancienne collègue, Marie-Claude Lemieux, avait même déjà accusé Québec de carrément subventionner le profit plutôt que de donner l’oxygène nécessaire au réseau des CPE.
L’échec de la conversion et le virage vers le privé
Une des grandes idées pour tenter d’améliorer l’offre de services était de convertir l’immense majorité des places privées non subventionnées en places subventionnées. C’était clair, le but était d’améliorer l’équité financière et la qualité. En 2022, le gouvernement avait annoncé vouloir convertir 57 000 des 65 000 places non subventionnées en places subventionnées d’ici 2027. On parlait d’un investissement estimé à 1,4 milliard $.
Malheureusement, les chiffres du Ministère de la Famille (MFA) confirment que cette conversion a été un échec cuisant, du moins pour ce qui est de favoriser le modèle CPE. Depuis le début du Grand chantier en 2021, seules 9898 places non subventionnées sont passées au statut de subventionnées. Et devinez quoi ? De ce petit nombre, seulement 123 sont devenues des CPE! L’énorme majorité est restée dans le modèle privé subventionné. C’est presque anecdotique, non?
L’AQCPE prend acte de cette réalité. Ils savent que, dans les faits, les garderies non subventionnées ne se transformeront pas en CPE. C’est pourquoi ils intègrent toutes ces places dans leurs projections montrant un réseau majoritairement privé. Rappelons qu’historiquement, une « loi non écrite » prévoyait une répartition des nouvelles places subventionnées à 85 % pour les CPE et 15 % pour le privé. Aujourd’hui, Mme Blanchard observe que ce ratio n’est plus respecté du tout et qu’on est plutôt dans un partage 50-50, y compris dans le chantier actuel. Faut croire que c’était plus rapide de subventionner le privé pour combler le manque de places.
Le Ministère de la Famille indique d’ailleurs que la prochaine vague de conversions, issue d’un appel à projets de cet automne, ne sera pas différente : elle concernera le transfert de 1000 places d’ici le 31 mars prochain, qui passeront encore de non subventionnées à subventionnées (privé), sans qu’il y ait de volonté affichée d’en faire des CPE.
Le modèle CPE : un gage de qualité prouvé

Pour l’Association, il ne s’agit pas seulement d’une question de pourcentage, mais bien de défendre le modèle qu’on a choisi au Québec en 1997. Pourquoi ? Parce que le modèle CPE, géré par les parents et identifié comme une forme d’économie sociale, agile pour répondre aux besoins locaux, est intrinsèquement lié à la qualité des services. Geneviève Blanchard insiste : « Quand on parle du modèle qui a fait école à travers le monde, c’est pas le modèle des garderies subventionnées, c’est le modèle CPE. » C’est un choix politique, un choix de société, rien de moins.
Et les faits leur donnent raison. Même si le financement des garderies privées subventionnées a été aligné sur celui des CPE depuis 2016, ces garderies privées n’ont pas réussi, près de dix ans plus tard, à rattraper leur retard en matière de qualité, selon Mme Blanchard. L’audit de performance du Vérificateur général du Québec, publié l’an dernier (en 2023), le confirme de manière assez spectaculaire :
- Le taux d’échec aux inspections pour les CPE était de 21 % en 2022-2023.
- Pour les garderies subventionnées, ce taux montait à 57 %.
- Pour les garderies non subventionnées, il atteignait 59 %.
On constate quand même une hausse marquée du taux d’échec des CPE à 21 % par rapport aux années précédentes, ce qui reflète des défis généraux dans le réseau, comme le recrutement de personnel qualifié (une hypothèse partagée par l’audit, qui note une baisse généralisée de la qualité entre 2020 et 2022). Mais cela n’enlève rien au constat fondamental : le modèle à but non lucratif permet de réinvestir les profits directement dans la mission éducative, ce qui génère une qualité globale supérieure. Ce point est d’ailleurs confirmé par une étude récente de l’Université de Sherbrooke, signée par l’économiste Luc Godbout cet automne.
Vers un réseau 100 % CPE : un plan de conversion en huit étapes
Pour l’AQCPE, la seule solution viable pour garantir l’équité d’accès et la qualité des services est d’atteindre 100 % de CPE dans le réseau québécois. Ils demandent au gouvernement non seulement de convertir les garderies privées non subventionnées, mais aussi toutes les garderies privées subventionnées. Pour ce faire, Geneviève Blanchard aimerait que ces principes soient enchâssés dans une loi, ou au moins fassent l’objet d’une orientation politique très ferme. C’est la seule façon de sortir de ce « modèle à deux ou trois vitesses ».
L’étude de Luc Godbout, qui souligne que la conversion en CPE est la solution d’excellence, met toutefois en garde contre l’aspect financier. Ce serait très coûteux en période de vaches maigres. Pourquoi? Parce que la conversion complète de tout le réseau engendrerait des coûts estimés à 1,8 milliard $ pour le trésor public, notamment parce que le gouvernement devrait acquérir les immeubles ou compenser les propriétaires privés qui possèdent leurs bâtisses.
L’AQCPE est réaliste sur l’état des finances publiques et propose d’y aller par étapes. Ils ont même élaboré un plan détaillé, qui pourrait être mis en œuvre sur deux mandats gouvernementaux, en commençant par les conversions les moins chères. Il faut juste une « orientation claire » et une volonté d’avancer, non?
Le plan de conversion progressif de l’AQCPE :
- Conversion des garderies privées non subventionnées dans les milieux défavorisés en CPE.
- Conversion des garderies non subventionnées en OBNL en CPE.
- Conversion des garderies non subventionnées locataires en CPE.
- Récupération des garderies non subventionnées fermées pour les convertir en CPE.
- Conversion des garderies non subventionnées propriétaires en CPE (le CPE devient locataire).
- Conversion des garderies privées subventionnées locataires en CPE.
- Conversion des garderies subventionnées propriétaires en CPE (le CPE devient locataire).
- Rachat de la bâtisse par les CPE locataires.
Ce contenu a été créé avec l’aide de l’IA.