Deux momies découvertes dans le Sahara révèlent une lignée nord-africaine jusqu’ici inconnue
Auteur: Adam David
On les croyait disparues, effacées par les sables du temps. Au cœur du désert libyen, la découverte de deux momies vieilles de 7 000 ans vient pourtant de livrer un patrimoine génétique insoupçonné. Ces corps, desséchés par un climat impitoyable, racontent l’histoire d’une lignée nord-africaine oubliée, qui prospéra durant l’ultime période du « Sahara vert ».
Un désert qui fut un jardin
Difficile de se l’imaginer aujourd’hui, mais le Sahara ne fut pas toujours cet océan de dunes. Il y a entre 14 500 et 5 000 ans, les moussons africaines transformaient périodiquement cette immensité en une savane ponctuée de lacs et de forêts. C’est dans ce décor aujourd’hui fantomatique que des communautés humaines se sont installées, notamment sur le site de Takarkori, dans le sud-ouest de la Libye.
Là, dans un abri sous roche, les archéologues ont mis au jour quinze sépultures. Parmi elles, deux corps de femmes, incomplets mais remarquablement momifiés par la nature, ont retenu toute leur attention. Mortes il y a environ 7 000 ans, alors que le désert commençait à reprendre ses droits, elles sont une capsule temporelle inespérée. Le climat aride a stoppé net la décomposition, préservant l’ADN au cœur de leurs tissus.
Quand le sable livre son ADN
C’est l’équipe de Savino Di Lernia, de l’Université La Sapienza de Rome, qui a sorti ces deux témoins du passé de leur sommeil de sable. L’enjeu était de taille : réussir à extraire et à séquencer leur génome complet. Une première pour des restes humains si anciens dans cette région du monde, où la chaleur détruit habituellement toute trace d’ADN.
Grâce à des techniques de pointe appliquées sur des fragments d’os et des racines dentaires, le pari a été relevé. Et le résultat a largement dépassé les espoirs des scientifiques. Ce n’est pas seulement un génome qu’ils ont lu, mais la signature d’un peuple entier dont l’histoire restait à écrire.
Une lignée nord-africaine jusqu'ici inconnue
L’analyse génétique a révélé une lignée totalement inédite, propre à l’Afrique du Nord. Ces femmes n’étaient ni proches des populations subsahariennes, ni parentes des premiers agriculteurs arrivés du Croissant fertile. Leur ADN raconte une autre histoire, bien plus ancienne et locale.
En fait, leur profil génétique est étonnamment proche de celui de chasseurs-cueilleurs ayant vécu il y a 15 000 ans dans la grotte de Taforalt, au Maroc. Une continuité surprenante sur huit millénaires, qui suggère que cette population est restée largement isolée, sans se mélanger de manière significative avec ses voisins du sud ou de l’est.
La faible trace de Néandertal, un indice crucial
Un détail, en apparence secondaire, est venu confirmer cette thèse de l’isolement. Les momies de Takarkori possèdent une part infime d’ADN de Néandertal, près de dix fois moins que les humains modernes non-africains. C’est un détail qui n’en est pas un. Il signifie que leurs ancêtres sont restés « à la maison », en Afrique, après la grande sortie d’Homo sapiens, et n’ont donc pas participé aux métissages survenus en Eurasie.
Ces travaux, menés par Nada Salem à l’Institut Max-Planck, et qui doivent paraître dans la revue *Nature* en 2025, offrent bien plus qu’une simple curiosité : ils redéfinissent la complexité des dynamiques humaines sur le continent africain à la préhistoire.
L'élevage, une révolution culturelle plus que migratoire
Cette découverte vient aussi bousculer une autre certitude. On a longtemps pensé que l’élevage avait été importé en Afrique du Nord par des vagues de migrants venus du Levant. Or, le profil génétique des momies suggère une tout autre dynamique.
Plutôt qu’un remplacement de population, les chercheurs penchent désormais pour une adoption culturelle. Les techniques d’élevage se seraient transmises de proche en proche, sans déplacements massifs de peuples. C’était une transmission d’idées, pas un grand remplacement. Les poteries servant à traiter le lait et l’art rupestre de la région le laissaient déjà entrevoir ; la génétique vient aujourd’hui le confirmer de manière éclatante.
Un peuple à part, plus proche d'un vieil Européen que des Africains actuels ?
L’étude réserve une dernière surprise, presque une bizarrerie. Le génome de ces femmes sahariennes est finalement plus proche de celui d’un *Homo sapiens* retrouvé en Tchéquie, vieux de 45 000 ans, que de la plupart des populations africaines d’aujourd’hui. Cela ne veut pas dire qu’elles étaient européennes, bien au contraire.
Cette parenté lointaine raconte une histoire de divergence très ancienne. Leur lignée se serait séparée des autres groupes humains bien avant les grandes migrations qui ont façonné les populations que nous connaissons. Elles sont le vestige d’une branche de l’humanité qui a suivi son propre chemin, sur sa propre terre, pendant des milliers d’années.
le puzzle inachevé du Sahara
Loin d’être de simples corps anciens, les momies de Takarkori sont des archives biologiques. Elles nous obligent à repenser les origines des peuples nord-africains et la manière dont les grandes révolutions, comme l’élevage, se sont diffusées. Elles prouvent que sous le sable se cache non pas un vide, mais une histoire humaine incroyablement riche et complexe.
Chaque découverte de ce type est une pièce de plus dans un immense puzzle. Et une chose est sûre : le Sahara n’a pas fini de nous parler de notre passé commun.
Selon la source : science-et-vie.com