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Espagne, le taureau immortel : entre culte ancestral et controverse moderne

Auteur: Adam David

2025-10-20 10:05:44

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Crédit: freepik

Entre l’Espagne et le taureau, l’histoire est bien plus qu’une simple tradition ; c’est une connexion quasi mystique, tissée au fil des millénaires. En Andalousie, cœur battant de la culture taurine, cet animal n’est pas qu’une mascotte folklorique. C’est une icône vivante, un symbole sacré qui incarne à la fois la fierté d’un peuple et ses plus profondes contradictions.

Dans la dehesa, la force à l'état pur

Le soleil de fin de journée plaque des teintes dorées sur les pâturages andalous. À l’ombre des chênes verts, des silhouettes massives se reposent. Soudain, un colosse d’une demi-tonne, noir comme le jais, s’avance dans la lumière. Il défie un autre mâle, une charge brève et brutale, un mugissement de victoire. La scène, vécue à quelques mètres à peine dans la finca Mirandilla, près de Séville, rappelle la puissance indomptée de ces animaux. « J’ai beau les côtoyer tous les jours, je ne m’en lasserai jamais », confie Jean-Christian Domergue, un Français passionné devenu guide dans cet élevage de toros bravos. Ici, au cœur de la dehesa, cet écosystème pastoral unique, le taureau de combat règne en maître.

Des grottes préhistoriques aux arènes romaines

Pour comprendre cette dévotion, il faut remonter le temps. Loin. Il y a des millénaires, l’aurochs, son ancêtre sauvage, fascinait déjà les premiers hommes qui ont gravé sa silhouette sur les parois de la grotte d’Altamira. Cette vénération a traversé les âges. Les Vettons, un peuple préromain, lui ont érigé des statues de granit, les verracos de piedra, tandis que les Phéniciens adoraient Baal, dieu cornu de la fertilité et de la guerre. La conquête romaine n’a fait qu’amplifier le phénomène, important les combats d’animaux, les venationes, dans les arènes de Tarragone ou de Mérida, ancrant un peu plus le taureau dans l’imaginaire collectif de la péninsule.

Un symbole que le christianisme n'a pu effacer

Le christianisme médiéval a bien tenté de diaboliser cette figure païenne, mais sans grand succès. La bête à cornes a fait un retour en force à la Renaissance, à une époque où l’on redécouvrait l’Antiquité. C’est à ce moment que naissent les premiers encierros, ces lâchers de taureaux dans les rues lors des fêtes locales, les fameuses ferias. On pense bien sûr à Pampelune, où chaque année, des milliers de coureurs risquent leur vie face aux bêtes. Loin d’être effacée, la tradition s’est transformée, devenant une véritable ferveur populaire qui a survécu jusqu’à nos jours.

Andalousie, l'épicentre d'une passion nationale

Nulle part ailleurs cette passion n’est plus palpable qu’en Andalousie. À Séville, l’arène n’est pas juste une arène, c’est la plaza de toros, la « place des taureaux », signe de la centralité de l’animal. Aux abords de la somptueuse Maestranza, les peñas taurinas, ces clubs d’aficionados, animent les bodegas. On y discute, on y débat, entouré de photos et d’affiches à la gloire des grands matadors. Un peu plus au sud, à Ronda, la ville semble être un temple à ciel ouvert. Des boutiques débordent d’objets à l’effigie du dieu taureau, et les restaurants, comme l’emblématique Pedro Romero, célèbrent sa viande dans des plats traditionnels tel le rabo de toro.

La corrida, une blessure ouverte qui divise le pays

Mais cette icône est aussi au cœur d’une fracture profonde. La tauromachie déchaîne les passions et divise l’Espagne en deux camps irréconciliables. D’un côté, les opposants dénoncent une pratique cruelle, un spectacle basé sur la souffrance animale qui n’aurait plus sa place au XXIe siècle. De l’autre, les aficionados la défendent comme un art, un héritage culturel essentiel, rappelant que sans la corrida, la race même du toro bravo serait menacée d’extinction. Le paradoxe espagnol est total : un sondage récent révélait que si 80 % de la population rejette la corrida, près de la moitié souhaite tout de même sa protection en tant que patrimoine culturel. Difficile de trancher dans un débat aussi viscéral.

Quand l'écologie s'invite dans le débat

Face à la contestation, les défenseurs de la tradition avancent un argument inattendu : l’écologie. Les éleveurs, comme Rafael Tejada, ancien torero reconverti, rappellent que l’élevage du taureau de combat est intimement lié à la préservation de la dehesa. Cet écosystème fragile, où vivent aussi le lynx ibérique et le cerf élaphe, pourrait disparaître avec lui. Conscientes des enjeux, de nombreuses ganaderias diversifient leurs activités. Elles ne dépendent plus seulement de la vente de taureaux pour les arènes, mais s’ouvrent au tourisme, organisent des séminaires et des mariages. Une manière de survivre en s’adaptant.

Conclusion : réinventer le mythe pour survivre

Alors, quel avenir pour le taureau ? Certains tentent d’imaginer une culture taurine sans violence. À Malaga, un centre d’expériences immersives propose de vivre les sensations de l’arène grâce à la réalité virtuelle, sans qu’une goutte de sang ne soit versée. D’autres rêvent encore plus grand, comme ce projet un peu fou de construire un taureau géant de 300 mètres de haut pour en faire une icône touristique nationale. Provocation pour les uns, hommage pour les autres, cette idée folle le prouve : six millénaires après son arrivée dans la péninsule, Bos taurus continue de hanter l’imaginaire espagnol. Et son histoire est loin d’être terminée.

Selon la source : geo.fr