
Dans le règne animal, les mammifères sont toujours à sang chaud, tandis que les reptiles sont à sang froid. C’est un principe. Pourtant, une espèce éteinte de chèvre, appelée Myotragus balearicus, a bouleversé cette certitude. Vivant sur l’île de Majorque, ce mammifère unique avait adopté un mode de vie reptilien, une adaptation jamais observée auparavant chez les mammifères.
Une chèvre venue d’un autre temps

Myotragus balearicus est une espèce ancienne de chèvre qui vivait sur les terres qui allaient devenir les îles Baléares, au large de l’Espagne. Lorsque la mer a isolé l’île de Majorque, cette chèvre a dû s’adapter à un environnement pauvre en ressources. Elle mesurait seulement 45 centimètres de haut et a subi un rétrécissement de ses membres, de son cerveau et de ses sens, devenant ainsi une espèce naine, adaptée à la survie dans un espace limité.
Un métabolisme plus lent que jamais

Sur cette île sans prédateurs, la chèvre n’avait pas besoin de fuir ni de se battre. Les scientifiques ont découvert qu’elle vivait au ralenti, comme les reptiles. Elle se déplaçait lentement, passait du temps au soleil, et son rythme de vie était bien plus lent que celui des chèvres modernes. Tout cela lui permettait de conserver de l’énergie, un avantage essentiel dans un milieu pauvre en nourriture.
Une croissance digne des reptiles

L’analyse de ses os a révélé quelque chose de très inhabituel : la structure de ses os ressemblait à celle des reptiles, avec ce qu’on appelle des tissus de type “lamellaire”. Ces tissus indiquent une croissance très lente, parfois même interrompue selon les saisons ou les ressources disponibles, exactement comme chez les crocodiles. Une chose jamais vue chez un mammifère jusqu’ici.
Une maturité extrêmement tardive

Contrairement aux chèvres actuelles qui peuvent se reproduire en moins d’un an, Myotragus balearicus atteignait sa maturité sexuelle à 12 ans. Ce délai exceptionnel est un autre signe d’un métabolisme lent et économe, qui a évolué pour s’adapter à l’environnement de l’île. C’est un autre trait directement comparable à celui des reptiles à sang froid.
Une vie sans stress… jusqu’à l’arrivée de l’homme

Grâce à l’absence de prédateurs et à son rythme de vie lent, cette chèvre vivait tranquillement depuis plus de 5 millions d’années. C’est deux fois plus longtemps que la durée moyenne de vie d’une espèce de mammifère sur le continent. Mais cette paix a pris fin avec l’arrivée des humains sur l’île il y a environ 3 000 ans.
Un équilibre fragile brisé

Les humains ont apporté avec eux de nouveaux animaux, la chasse, et ont modifié l’écosystème de l’île. En même temps, les plantes préférées de Myotragus ont commencé à disparaître. En quelques générations seulement, cette espèce si bien adaptée à son île n’a pas survécu aux changements brutaux provoqués par l’homme.
Une controverse scientifique

Certaines découvertes sur les os de Myotragus ont soulevé des débats. En effet, on a aussi trouvé des os de type “fibrolamellaire”, généralement associés aux animaux à sang chaud. Cela laisse penser qu’il pourrait exister des formes intermédiaires entre les animaux à sang chaud et à sang froid, un sujet qui continue à être étudié par les chercheurs.
Un modèle unique pour comprendre l’évolution

Cette chèvre est aujourd’hui considérée comme un cas d’étude exceptionnel. Elle montre comment une espèce peut complètement transformer son métabolisme et son comportement pour s’adapter à un environnement extrême. Les chercheurs pensent que Myotragus pourrait représenter une forme d’évolution jamais observée ailleurs chez les mammifères.
Une leçon venue du passé

L’histoire de Myotragus balearicus est un rappel poignant de la fragilité des espèces, même les mieux adaptées. Malgré son adaptation parfaite à l’île, l’arrivée des humains a suffi à la faire disparaître. Aujourd’hui, elle reste le seul mammifère connu à avoir adopté un mode de vie reptilien, une énigme de la nature qui nous pousse à mieux comprendre – et respecter – la diversité du vivant.
Source : sciencedirect