Pourquoi le Japon enterre la terre de Fukushima dans les jardins du Premier ministre ?
Auteur: Simon Kabbaj
14 ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima, le Japon cherche toujours à regagner la confiance de sa population. Pour montrer que la terre décontaminée n’est plus dangereuse, le gouvernement a annoncé une initiative surprenante : utiliser ce sol légèrement radioactif dans les parterres de fleurs de la résidence du Premier ministre. Une opération à forte portée symbolique, destinée à convaincre le public de l’innocuité du recyclage de ce sol.
Une catastrophe toujours dans les mémoires

En mars 2011, un tremblement de terre dévastateur a provoqué un tsunami massif sur la côte japonaise, causant la mort de plus de 18 000 personnes. La vague a aussi frappé la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, provoquant une panne d’électricité. Faute de système de refroidissement, trois réacteurs ont subi une fusion partielle, libérant des matières radioactives dans l’environnement. Ce fut le deuxième accident nucléaire le plus grave de l’histoire, après Tchernobyl. Aucun décès direct dû à la radiation n’a été enregistré, mais les conséquences environnementales persistent encore aujourd’hui.
Une montagne de terre légèrement radioactive à gérer

Depuis l’accident, le Japon a collecté plus de 14 millions de mètres cubes de sol légèrement radioactif, soit l’équivalent de 494 millions de pieds cubes, ou encore 11 fois le volume du Tokyo Dome. Ce sol, extrait lors des travaux de décontamination, est entreposé dans une installation de stockage temporaire près du complexe de Fukushima Daiichi. La loi japonaise oblige le gouvernement à trouver une solution pour ce sol avant 2045, mais les projets précédents, comme son utilisation dans des parcs publics de Tokyo, ont suscité une forte opposition de la population.
Des fleurs pour un message politique

Pour surmonter ces résistances, le gouvernement a décidé de montrer l’exemple en utilisant ce sol dans les parterres de fleurs de la résidence du Premier ministre. L’annonce a été faite mardi, selon Japan Today. Cette décision s’inscrit dans une tentative de montrer concrètement que la terre est sans danger, en la plaçant dans un lieu hautement symbolique. “Le gouvernement prendra l’initiative et nous commencerons à le faire au bureau du Premier ministre”, a déclaré le secrétaire général du cabinet Yoshimasa Hayashi, lors d’une réunion, selon TheGuardian.
Un projet soutenu par les recommandations internationales

Dès 2024, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a donné son feu vert à un plan visant à recycler environ 75 % de cette terre, à condition que son innocuité soit prouvée. Selon l’Associated Press, le ministère japonais de l’Environnement prévoit d’utiliser ce sol dans les fondations de divers projets d’infrastructure, comme les chemins de fer, les routes, les digues, les terrains agricoles et les sites de traitement des déchets. Il est prévu que la terre radioactive soit recouverte d’une épaisse couche de terre propre, garantissant une barrière de sécurité supplémentaire.
L’appui officiel de l’Agence internationale de l’énergie atomique au plan japonais

Dans un communiqué officiel, le directeur général de l’AIEA, Rafael Mariano Grossi, a affirmé :
“L’AIEA est convaincue que tant que le ministère japonais de l’Environnement continue d’explorer des solutions en accord avec nos recommandations, sa stratégie de recyclage et d’élimination finale des sols et déchets retirés restera conforme aux normes de sécurité de l’AIEA.” Ce soutien renforce la légitimité du plan japonais sur la scène internationale, mais ne suffit pas à dissiper toutes les inquiétudes locales.
Un précédent controversé : l’eau rejetée dans le Pacifique

Cette tentative de rassurer le public par des gestes symboliques n’est pas une première. En 2023, le Japon a commencé à rejeter dans l’océan Pacifique de l’eau traitée provenant des réacteurs, utilisée en 2011 pour les refroidir après la fusion. Ce rejet avait été validé par l’AIEA, mais avait soulevé une vive opposition de pays voisins comme la Chine et la Corée du Sud. Pour prouver l’innocuité du poisson de la région, des ministres japonais avaient mangé publiquement du poisson pêché à Fukushima, espérant apaiser les craintes.
Conclusion : la confiance se regagne-t-elle par les gestes ?

Malgré le feu vert des autorités et les garanties scientifiques, la population japonaise reste profondément marquée par la catastrophe de 2011. Si le geste de planter des fleurs dans la terre de Fukushima à la résidence du Premier ministre est fort en symboles, cela suffira-t-il à restaurer la confiance ? Ce pari du gouvernement japonais repose sur un espoir : que les preuves visibles aient plus d’impact que les discours officiels.
Source : Theguardian