Amazon prépare une armée de robots : un plan pour remplacer des centaines de milliers d’employés
Auteur: Simon Kabbaj
En 20 ans, Amazon a bouleversé la manière dont les Américains consomment et travaillent, devenant le deuxième plus grand employeur du pays. Mais selon des fuites de documents internes, la prochaine phase s’annonce radicalement différente. L’entreprise, qui a triplé ses effectifs aux États-Unis depuis 2018, aurait modélisé un avenir où l’automatisation lui permettrait d’expédier bien plus de produits, sans embaucher plus d’humains. Ces plans décrivent comment Amazon pourrait éviter de recruter des centaines de milliers de travailleurs au cours de la prochaine décennie. La question n’est plus de savoir si l’automatisation va arriver, mais comment les communautés qui dépendent de ces emplois vont survivre à la vague.
Ce que révèlent les documents : des chiffres et un objectif ambitieux
Les documents qui ont fuité sont précis. Les dirigeants d’Amazon auraient expliqué qu’ils pourraient éviter d’embaucher plus de 160 000 travailleurs américains d’ici 2027, et 600 000 d’ici 2033, principalement grâce aux robots et aux logiciels. Attention, il ne s’agit pas de licenciements, mais bien de ne pas créer de nouveaux postes, même si le volume de commandes de l’entreprise est censé doubler. L’objectif interne, mentionné à plusieurs reprises, est d’une ambition folle : l’organisation robotique d’Amazon viserait à automatiser jusqu’à 75% des opérations dans ses entrepôts. Les rôles humains seraient alors principalement axés sur la maintenance et le contrôle qualité. Les documents mentionneraient même une liste de 40 sites à transformer d’ici 2027.
La réponse d'Amazon : une simple 'modélisation', pas un plan de remplacement
Face à la polémique, Amazon a publiquement contesté l’interprétation la plus dure de ces documents. Les porte-paroles de l’entreprise affirment que ces chiffres ne reflètent que la ‘modélisation de scénarios’ d’une seule équipe, et non un plan de recrutement à l’échelle de l’entreprise. Pour prouver leur bonne foi, ils mettent en avant les campagnes d’embauches saisonnières massives (un quart de million de postes l’an dernier) et leur programme de formation interne en mécatronique, qui a déjà formé près de 5 000 employés depuis 2019 pour devenir des techniciens qualifiés. Leur argument : les robots éliminent les tâches répétitives et physiquement exigeantes, permettant aux humains d’accéder à des postes mieux rémunérés de maintenance et de dépannage.
Le futur, c'est maintenant : l'exemple de Shreveport
Pour comprendre à quoi ressemble cet avenir, il suffit de regarder le centre de distribution de nouvelle génération ouvert fin 2024 à Shreveport, en Louisiane. Conçu dès le départ autour de la robotique, il utilise au moins huit systèmes robotisés différents qui travaillent avec les équipes humaines. Les reportages décrivent cinq étages d’automatisation dense, où les colis se déplacent avec une intervention humaine minimale. Selon les fuites, le site utiliserait environ 1 000 robots, ce qui lui a permis d’employer environ un quart de travailleurs en moins qu’un site non automatisé. Amazon prévoit de répliquer ce modèle dans des dizaines d’autres entrepôts d’ici 2027.
Pourquoi une telle accélération maintenant ?
La logique commerciale derrière cette automatisation est implacable. Après la pandémie, la demande de commerce en ligne a explosé, tout comme les coûts salariaux et les difficultés de recrutement. Dans ce contexte, les robots promettent des gains d’efficacité durables. Ils peuvent trier les colis plus vite, avec plus de précision, et travailler 24h/24. Depuis le rachat de Kiva Systems en 2012, Amazon a toujours été un pionnier dans ce domaine. La nouvelle génération de robots, orchestrée par l’IA, va encore plus loin, permettant de gérer des milliers de mouvements simultanés. L’entreprise qui réussira à créer un système de livraison fiable et quasi sans contact à grande échelle établira une nouvelle norme pour tout le secteur.
Quel impact sur l'emploi ? Le grand débat
L’automatisation va-t-elle créer autant d’emplois qu’elle en détruit ? Le débat fait rage. Des organisations comme la Brookings Institution notent que sur le long terme, c’est souvent le cas, mais reconnaissent les ‘transitions douloureuses’ pour certains travailleurs. L’OCDE estime qu’environ 28% des emplois sont à haut risque d’automatisation, surtout les moins qualifiés. Le FMI, lui, projette que 60% des emplois dans les économies avancées seront ‘significativement impactés’ par l’IA. Dans le cas des entrepôts, les tâches les plus menacées sont le prélèvement manuel, l’emballage et le transport de chariots… exactement ce qui est en train d’être automatisé. Le lauréat du prix Nobel d’économie 2024, Daron Acemoglu, a même averti que cette automatisation agressive risquait de transformer un ‘créateur prolifique d’emplois en un destructeur net d’emplois’.
Qui sont les plus exposés ?
Pour de nombreux travailleurs sans diplôme universitaire, les emplois en entrepôt ont été une porte d’entrée vers la classe moyenne. Ce secteur emploie également une part plus élevée de travailleurs noirs que la moyenne nationale, ce qui soulève des questions d’équité si les embauches ralentissent. Les chercheurs préviennent que l’impact de l‘automatisation est plus sévère dans les régions où de nombreux travailleurs dépendent d’un seul grand employeur. Les communautés qui ont offert des avantages fiscaux à Amazon pour attirer ses entrepôts pourraient se sentir trahies si les effectifs diminuent. Sans une vision claire des futurs besoins en compétences, de nombreuses opportunités pourraient disparaître avant que les travailleurs locaux ne soient prêts à y postuler.
La promesse d'Amazon : 'Moins d'emplois, mais de meilleurs emplois'
Les partisans de l’automatisation mettent en avant les gains potentiels en matière de sécurité. Les robots peuvent prendre en charge les tâches lourdes et répétitives qui causent des blessures. La vision d’Amazon est celle d’une ‘automatisation centrée sur l’humain’, où les robots s’occupent des tâches ingrates et où les humains se concentrent sur la résolution de problèmes. Cette vision est plausible, mais elle ne se réalisera que si les entreprises investissent massivement dans la formation et si les salaires des nouveaux postes de techniciens suivent la complexité croissante des tâches. La question est de savoir si des milliers de ‘meilleurs emplois’ pourront réellement être créés, et si les populations locales pourront y accéder à temps.
Comment les travailleurs peuvent-ils se préparer ?
Pour les travailleurs, la réponse la plus pratique est de se former à des rôles qui complètent l’automatisation. La mécatronique, qui mélange mécanique, électricité et informatique, est la compétence clé. Il ne faut pas essayer de rivaliser avec les robots, mais apprendre à les guider, les entretenir et les améliorer. Les pouvoirs publics, quant à eux, ne peuvent pas arrêter l’automatisation, mais ils peuvent en façonner les résultats. Ils peuvent négocier plus de transparence de la part des entreprises, lier les aides publiques à des résultats en matière de formation locale, et co-financer des centres de formation régionaux pour créer des viviers de talents.
Conclusion : si Amazon le fait, les autres suivront
Amazon n’est pas seul dans cette course. Tous les grands noms de la distribution et de la logistique investissent massivement dans l’automatisation. Si Amazon réussit à prouver que son modèle à faible intervention humaine est fiable et rentable, tous ses concurrents seront forcés de suivre pour rester compétitifs. C’est pourquoi la stratégie d’Amazon est si observée. Elle ne concerne pas qu’une seule entreprise, elle préfigure une transformation fondamentale de tout un secteur économique et du marché du travail dans son ensemble. Les régions qui anticiperont cette vague en investissant dans la formation technique transformeront une menace en une force compétitive.
Selon la source : gizmodo.comx